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19/06/2020
À la faveur de l’ombre propice
À la recherche d’un pseudonyme dans l’une de ces désormais trop nombreuses situations où l’on doit imaginer un identifiant pour les besoins de l’envahissante Toile, je me suis un jour tourné vers les héros de ma jeunesse. Parmi d’autres, deux noms ont surgi, tel des cavaliers de l’orage, hors de la nuit des souvenirs : Zorro et Arsène Lupin.
Des deux n’en faire qu’un ? Zolu n’était pas très « zoli », Zorlu moins encore et Luzo évoquait plutôt le Muzo – voire le museau – de l’ami Placid … Pas sérieux. Restait Luzor. Puis il m’apparut que ce nom pouvait se lire plutôt Luz-Or, dans lequel l’or brille d’un sombre éclat.
D’après René Guénon, Luz est le séjour d’immortalité et se rapporte aux traditions des mondes souterrains. Dans le judaïsme, il s’agit d’une ville mystérieuse dans laquelle l’Ange de la mort ne peut pénétrer et où il n’a aucun pouvoir. « Près de Luz, il y a, dit-on, un amandier (appelé aussi luz en hébreu) à la base duquel est un creux par lequel on pénètre dans un souterrain ; et ce souterrain conduit à la ville elle-même qui est entièrement cachée¹ ». Guénon ajoute que le mot dérive probablement d’une racine qui signifie « caché, couvert, enveloppé, silencieux, secret ».
Le cavalier qui, chevauchant son noir coursier, surgit hors de la nuit est-il un envoyé de Luz ? Sur la terre de Californie où les agents de l’Ange de la mort n’ont que trop d’emprise, à la faveur de l’ombre propice, il rétablit l’ordre de vérité.
À sa manière, Arsène Lupin, dans les plus ambitieuses de ses aventures, accomplit des prodiges plus étonnants encore. Drapé dans une cape noire et coiffé d’un haut-de-forme du même (comme on dirait en héraldique), il se livre à ses activités nocturnes sans perdre le sens de l’élégance ni celui de l’humour. Mais il est aussi le paladin qui, des plus lumineux aux plus ténébreux, révèle les arcanes de l’histoire de France et les mystères de ceux qui, de Jeanne d’Arc au Masque de fer, furent détenteurs du secret de l’Aiguille.
Dans cette affaire, les richesses dérobées par l’Arsène constituent un enjeu qui dépasse toute anecdote. Le trésor (« Très-Or ») des rois de France est caché au plus profond de l’Aiguille, creuse comme l'est le souterrain de l’amandier. En le découvrant, Lupin accède à une forme d’immortalité. Ainsi le cœur secret de l’Aiguille apparaît-il comme l’une des manifestations de Luz, la cité dans laquelle l’Ange de la mort ne pénètre jamais.
¹ René Guénon, Le Roi du Monde, Paris, Gallimard, 1958