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L’œuvre taxinomique de Joseph Greenberg

21/08/2020

L’œuvre taxinomique de Joseph Greenberg

Joseph H. Greenberg est un linguiste américain, auteur de la classification des langues africaines. On lui doit aussi des travaux taxinomiques importants sur les langues eurasiatiques, amérindiennes et de Nouvelle-Guinée.

La classification des langues africaines par Joseph Harold Greenberg fait aujourd’hui l’objet d’un consensus assez large dans la communauté scientifique, même si de nombreux points relatifs aux subdivisions internes sont encore discutés.

 

Dans l’ouvrage qu’il a publié en 1963, The Languages of Africa[1], Greenberg ramène la formidable diversité linguistique de ce continent à seulement quatre grandes familles : afroasiatique, nilo-saharienne, nigéro-kordofanienne et khoisan. La parution de son ouvrage est une balise essentielle dans le champ de la classification des langues car le domaine africain était alors l’un des plus embrouillés qui soient. Si certaines familles (sémitique, bantoue, notamment) avaient été repérées depuis longtemps, aucune image solide n’avait été dégagée pour l’ensemble du continent. L’ouvrage de Greenberg fit jaillir un ordre global là où régnaient des ordres partiels souvent mal reliés entre eux.

 

C’est la classification de Greenberg qu’ont aujourd’hui adoptée, avec parfois des variations dans les appellations, les principales encyclopédies en ligne : Wikipédia, Universalis, Larousse.

 

L’étendue des connaissances de Joseph Greenberg, sur un très grand nombre de langues du monde entier, est proprement sidérante. Son génie classificatoire ne l’est pas moins. Sa curiosité et son sens du défi l’ont conduit à se confronter aux espaces linguistiques les moins défrichés ou à ceux qui faisaient l’objet des tabous les mieux ancrés : langues des Papous de Nouvelle-Guinée, langues amérindiennes, langues de l’espace eurasiatique.

 

Le succès de sa classification des langues africaines rend a posteriori étonnants les violentes critiques et les refus dont il a été l’objet pour ses travaux ultérieurs dans les domaines cités plus haut. Cependant la différence des époques et la puissance des bastions académiques qui se sont sentis assiégés peuvent expliquer ces différentes réactions.

 

Les spécialistes des nombreux groupes de langues amérindiennes ont vu d’un mauvais œil l’émergence d’une thèse qui ramène à trois macrofamilles seulement la diversité des langues du continent. En particulier, l’hypothèse de Greenberg d’une famille Amérinde, rassemblant l’essentiel des langues d’Amérique du Nord et du Sud, a fait l’objet d’un rejet massif. Sans entrer dans la technicité du débat[2], il n’y aurait rien d’étonnant à ce que la diversité des langues de l’Amérique se ramène à trois groupes alors que celle de l’Afrique en compte quatre. Et ce d’autant moins que l’Afrique, terre d’origine de l’homme moderne, a toutes les raisons d’être linguistiquement plus complexe que l’Amérique, dernier continent à avoir été peuplé par lui.

 

En ce qui concerne l’espace eurasiatique, une bonne part de l’opposition est venue de spécialistes refusant l’idée que le groupe indoeuropéen soit rapporté à un ensemble plus vaste, en l’occurrence la macrofamille eurasiatique[3] avancée par Greenberg. Des raisons idéologiques, en rapport avec l’ethnocentrisme européen, ne sont pas absentes des raisonnements qui rejettent la thèse de Greenberg. Ce dernier avait d’ailleurs déjà affronté des critiques du même genre, parfois teintées de racisme, à l’époque de son ouvrage sur les langues africaines, quand il avait montré que les langues sémitiques et les langues tchadiques, ces dernières parlées par des populations noires, appartenaient au même phylum afroasiatique.

 

Gageons que les vues de Greenberg, corrigées sans doute sur certains points, gagneront du terrain dans les prochaines années, à condition toutefois que les milieux scientifiques favorisent davantage les approches larges et ambitieuses de ce sujet majeur pour la compréhension de nos origines.



[1] The Languages of Africa, Joseph H. Greenberg, Bloomington, Indiana University Press, 1963

[2] Notons tout de même que l’un des principaux arguments avancés par Greenberg en faveur de la famille amérinde, l’existence d’une configuration pronominale qui se retrouve dans la plupart des groupes linguistiques amérindes et est absente partout ailleurs dans le monde, n’a pas fait l’objet d’une réfutation véritable. 

[3] Greenberg identifie une macrofamille qu’il nomme eurasiatique, comprenant, outre le groupe indoeuropéen, les familles ouralienne, altaïque, tchouktchi-kamtchatkienne, eskimo-aléoute et, possiblement, la famille composée des trois langues : coréen, japonais et aïnou.