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L'Archer céleste est un choix de poésie française du XXe siècle que j'ai constitué en 1996. Deux citations figurent en exergue.
Orion,
Pigmenté d'infini et de soif terrestre,
[...]
Se plut avec nous
Et resta.
Chuchotement parmi les étoiles.
René Char
Ecoliers, ne vous tracassez plus avec la date : la bataille d'Azincourt se déroule toujours. Les flèches des archers anglais sont restées en suspens, comme le voulait Zénon.
André Hardellet
Chasseur à l’affût, veilleur, homme en quête de lui-même ou de la Terre à bonheur, tel est le poète, image réfractée de l’archer céleste.
René Char a placé l’un de ses recueils, Aromates chasseurs, sous le signe d’Orion, archer téméraire devenu, dans le ciel nocturne, la constellation la plus belle. Evadé d’archipel, l’archer céleste pérégrine et fait étape aux auberges de la nuit : Orion à la Licorne ; Orion s’éprend de la Polaire ; Orion traverse à la nage l’Eridan et connaît l’Hydre ; puis c’est le retour d’Orion à la terre des lombes, auquel Ungaretti semble faire écho :
Tu reviens, âme, comble de reflets
Et retrouves, riant, l’obscur ...
Temps, fugace frisson.
André Hardellet lui aussi a évoqué les guetteurs silencieux, attentifs à cela qui bientôt s’enfuit par une entaille de la journée. L’archer zen et l’archer de Zénon, le photographe – celui d’Alice au Pays des Merveilles ou celui de la carte postale du Tréport en 1912 –, le surveillant des glaces et le poseur de grillons, les chasseurs du bois des Arpents et le voyageur immobile sur le quai de Javel : autant de visages de l’homme – du poète – à la recherche du mat invincible.
A cette lumière, voici un choix de poésie française du XXe siècle.
Un choix n’est pas une anthologie. La différence est qu’il ne s’agit pas d’une recension exhaustive, ou simplement équitable, de tous les grands courants et de tous les auteurs importants du domaine concerné. Mon but, plus modeste, a été de réunir en un volume des textes qui constituent mon paysage poétique familier. Proches et lointains y prennent place, les uns couvrant de larges territoires, d’autres discrets et seulement présents par quelque air très léger. Si, pour des raisons diverses, j’ai volontairement écarté certains auteurs, marquant ainsi mes préférences, très souvent ce sont les limites de mon savoir qui expliquent les absences. Une place est donc réservée à l’avenir pour d’autres poètes qui sont aujourd’hui des amis inconnus :
Si je croise jamais un des amis lointains,
Au mal que je lui fis, vais-je le reconnaître ?
Jules Supervielle
Georges Pompidou nous a avertis : « bien savant qui dira ce qu’est la poésie ». N’y prétendant pas parvenir, je m’en suis tenu à des auteurs habituellement reconnus comme poètes et, parmi leurs œuvres, à celles qu’on ne saurait assez nettement rattacher à un autre domaine. Ceci m’a conduit à écarter des romanciers, tel Henri Bosco, ou des auteurs dramatiques comme Jean Giraudoux, bien que la qualité poétique de leurs écrits soit à mon goût fort sensible. Pareillement, on ne trouvera aucun extrait des pièces de théâtre de Jean Tardieu ou de Georges Schehadé, des beaux contes de Jules Supervielle, ni des romans de Toulet, d’Aragon ou d’André Hardellet, dont cependant le grave Parc des Archers eût trouvé ici une juste place.
Certains ouvrages résistent à la mise en pot et à l’étiquetage. Barbare en Asie, Henri Michaux se défend d’avoir écrit un journal de voyage et, d’ailleurs, la nature d’aucun des ses écrits ne se laisse facilement définir. Qu’en est-il des Histoires blanches d’André Frédérique ? Elles ressortissent souvent à l’humour noir. Quant aux Oignons de Norge, d’une espèce inclassable, ils font davantage rire que pleurer. Dans tous ces ouvrages, poésie et humour font inséparable ménage et j’ai souhaité leur faire bonne place dans ce volume.
La poésie française est la seule qui me soit, à sa source, pleinement accessible et intelligible. J’y ai borné mon choix. Ce n’est pas à dire, bien sûr, qu’elle soit l’œuvre exclusive d’écrivains de nationalité française : Norge et Michaux sont belges, bien que ce dernier ait finalement choisi de devenir français, Georges et Laurice Schehadé sont libanais d’expression française. Ungaretti, italien, constitue ici une exception voulue, dont la présence s’explique par l’extraordinaire talent de ses traducteurs, au service d’une œuvre remarquable. Par la grâce d’une traduction inspirée, sa Vie d’un homme est devenu un très beau livre de poésie française.
Avant d’évoquer brièvement chaque auteur, il me reste à dire pourquoi j’ai choisi de limiter mon choix au XXe siècle. Au vrai ce siècle, bien contestable à tant de points de vue, est, pour la langue française, un grand moment de la poésie. Sous ce rapport il a, parmi tous les autres, ma préférence. La variété des thèmes et la liberté du style, non exempte de certains abus, y sont immenses ; l’imprégnation de toute la somme de poésie des périodes antérieures et les épreuves terribles des deux grandes guerres lui donnent une force incomparable. Au demeurant, l’or et l’ornière s’y cotoient, plus contrastés qu’en toute autre époque, et l’art y bat d’un mouvement de montagnes russes qui est la signature d’un temps tourmenté. Au milieu du tourbillon, quelques instants de grâce surnagent et fleurissent, havres précaires, ici le temps d’une inoubliable lettre amoureuse :
...Et ce fut à telle seconde de mon appréhension qu’elle changea le sentier fou et aberrant de mon destin en un chemin de parélie pour la félicité furtive de la terre des amants.
René Char