Littérature europénne

Depuis quelques années, j'ai entrepris un travail sur la littérature européenne. L'objectif initial était d'animer une conférence d'introduction sur ce sujet, en présentant les auteurs et les œuvres majeurs, avec un accent particulier sur les mouvements ayant eu une résonnance ou une extension européenne.

 

Finalement ce travail prend la forme d'un ouvrage. J'en donnerai quelques aperçus dans cette rubrique au fur et à mesure de l'avancée des recherches et de la rédaction.


La forme générale est celle d'une présentation chronologique de la littérature européenne, à l'intention de tous ceux qui désirent avoir une vision d’ensemble de ce vaste sujet. L’ouvrage s’adresse en particulier aux jeunes Européens. Construire une Europe plus unie est une tâche impérieuse du 21e siècle. Elle ne s’accomplira pas sans que progresse chez les Français et chez tous les Européens la connaissance des grands auteurs et des grandes œuvres de l’Europe littéraire.

Qu’entend-on par « littérature française » ?

Pour approcher la question de la définition de la littérature européenne, tentons d’abord de cerner, à titre d’exemple, la notion de littérature française, a priori la plus familière de notre lecteur. Il ne fait pas de doute que les œuvres de la littérature française (tout comme celles des littératures allemande, italienne, hongroise, grecque, etc.) font partie de la littérature européenne, quelle que soit la façon de la définir.

 

La France est un pays dont l’indépendance est reconnue, ses frontières ne sont pas contestées et elle possède une – et une seule – langue officielle. L’expression « littérature française » est d’usage courant, aussi bien en France que dans le monde entier. Pour autant, est-il aisé de la définir ?

 

Nous conviendrons facilement que les œuvres littéraires écrites en français moderne par un auteur né et vivant – ou ayant vécu – en France appartiennent à la littérature française. Mais, si la langue française est devenue il y a cinq siècles la langue nationale, elle ne fut pas – et n’est toujours pas – la seule langue parlée sur le territoire. Les parlers d’Oïl (normand, picard, champenois, lorrain, bourguignon), trop près géographiquement, politiquement et linguistiquement de Paris et de la langue françoise, ont peiné à faire naître des œuvres – à l’exception notable du Roman de Brut de l’écrivain anglo-normand Wace – mais plusieurs autres langues ont fait l’objet d’une pratique littéraire en France.

 

Il en est ainsi, exemplairement, de la langue d’Oc ou occitan, langue des troubadours – le duc Guillaume d’Aquitaine, le Blayais Jaufré Rudel, le Corrézien Bernart de Ventadour – et de sa proche parente, la langue provençale du poète Frédéric Mistral qui obtint le prix Nobel de littérature en 1904. C’est également le cas du basque, depuis le premier livre publié dans cette langue au XVIe siècle par le Bas-Navarrais Bernard d’Etcheparre jusqu’à l’œuvre 100% basque de la Bayonnaise Itxaro Borda. Un troisième exemple est fourni par le breton, dont les œuvres écrites n’apparaissent qu’au XXe siècle (Youenn Drezen, Pierre-Jakez Hélias), mais qui possède un riche patrimoine de contes et de légendes. On pourrait encore évoquer le corse, l’alsacien (avec notamment son théâtre), le flamand de la Flandre française. Les œuvres littéraires composées dans ces langues par des auteurs de nationalité française appartiennent-elles à la littérature française ?

 

On est tenté de dire que non. La langue est un marqueur tellement essentiel de la littérature (la littérature est langue avant tout) qu’il ne semble pas possible de parler de littérature française pour un texte qui n’a pas été composé en français. Toutefois la réponse est peut-être à nuancer si l’on considère d’autres cas que la France. Dans un pays qui a plusieurs langues officielles, comme la Belgique ou la Suisse, sera-t-il possible de parler de littérature belge ou suisse ? Oui, sans doute. Il faudrait alors entendre la littérature française comme la littérature composée dans le pays nommé France.

 

Telle n’a pas été, toutefois, notre approche dans le présent ouvrage. Nous avons considéré que les œuvres écrites en occitan, en basque, en breton ou en d’autres langues parlées sur le territoire français, ne relevaient pas de la littérature française mais prioritairement de la littérature occitane, basque, bretonne, etc. Leur lien à la littérature française existe, eu égard à leur situation régionale, au bilinguisme fréquent de leurs auteurs, au fait que leurs œuvres sont souvent traduites en français peu après la parution dans leur langue d’origine, mais il a un caractère second.

 

Dans cette perspective, qui met en avant la langue, les œuvres en français écrites par des écrivains belges ou suisses appartiennent pleinement à la littérature française. Il en est ainsi par exemple de la poésie de Verhaeren, du théâtre de Maeterlinck ou des romans du Vaudois Ramuz. Mais bien évidemment l’enseignement scolaire en Belgique ou en Suisse inclura très légitimement ces grands écrivains dans le panorama de leur littérature nationale – ou confédérale.

 

A ce stade, le lecteur pourrait faire la remarque suivante : à quoi bon se demander si une œuvre en corse ou en breton, celle d’un écrivain francophone de Gand ou de Lausanne, appartiennent à la littérature française puisqu’ils ressortissent à coup sûr de la littérature européenne qui est notre objet ? Il n’y aurait en effet aucune raison de se poser la question si la francophonie et les frontières de l’état national se bornaient à l’Europe, mais ce n’est pas le cas. La Martinique ni le Liban, le Québec ni le Sénégal ne se trouvent en Europe : alors les œuvres de Césaire, d’Andrée Chedid, d’Yves Beauchemin, de Léopold Sédar Senghor font-elles partie de la littérature française et, partant, de la littérature européenne ?

 

Tentons une réponse, sans dissimuler la complexité de la démarche et la part de subjectif qu’elle induit. Quoique géographiquement américains, la Martinique et Césaire sont politiquement français : l’œuvre du chantre de la négritude appartient incontestablement à la littérature française et donc à la littérature européenne (sauf à dire, mais le pourrait-on, qu’une partie de celle-là pourrait ne pas appartenir à celle-ci ?). Andrée Chédid, née au Caire et d’origine syro-libanaise, a choisi très tôt la nationalité française et passé la plus grande partie de sa vie en France. Elle a écrit nombre de ses œuvres en français : celles-ci appartiennent à la littérature française. Yves Beauchemin est canadien et, s’il écrit en français, son œuvre, marquée par son pays d’origine et de résidence, ressortit à la littérature francophone du Québec et non à la littérature française. Reste le cas de Senghor, sans doute le plus difficile à trancher : Sénégalais écrivant en français, il a été de nationalité française avant l’indépendance du Sénégal. Il a vécu une partie de sa vie en France et fait partie de l’Académie française. Sans qu’on puisse l’y annexer complètement, son œuvre a partie liée avec la littérature française tout en étant bien sûr pleinement une œuvre africaine et sénégalaise.

 

Pour finir ce tour d’horizon, il faut encore évoquer le cas des écrivains étrangers qui vécurent en France, adoptant ou non la nationalité française. La liste est longue et prestigieuse : Apollinaire, Romain Gary, Ionesco, Beckett, Kundera, bien d’autres encore. Personne ne contestera que celles de leurs œuvres qui furent écrites en français appartiennent pleinement à la littérature française.

 

Pour l’appartenance à la littérature française, telle que nous l’entendrons dans ce livre, nous proposons donc finalement de retenir un double critère : celui de la langue employée pour la rédaction des œuvres (le français) et celui de la résidence, soit en France, métropolitaine ou non, soit dans un pays francophone voisin.

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1.   Autres situations en Europe

L’examen de la situation dans d’autres pays d’Europe permet de généraliser, en la nuançant parfois, la définition qui a été donnée dans l'article précédent pour le cas spécifique de la littérature française.

 

Les œuvres des écrivains tchèques (Kafka), autrichiens (Musil, Roth) ou suisses (Frisch, Dürrenmatt) écrites en allemand appartiennent à la littérature allemande et sont traitées comme telles dans le livre, même s’il est évidemment possible de définir, au moins pour certaines époques, une littérature autrichienne ou suisse alémanique (et bien sûr une littérature en langue tchèque). De même les écrivains irlandais (Swift, Wilde, Joyce), écossais (Stevenson, Scott) ou gallois (Dylan Thomas) ayant écrit en anglais appartiennent-ils à l’histoire de la littérature anglaise tandis que, sauf exception (Henry James en est une), les écrivains états-uniens ne s’y rattachent pas.

 

Le cas des pays ayant plusieurs langues officielles (Belgique, République d’Irlande, Suisse, etc.) permet de mieux comprendre ce qui est entendu quand on accole au mot littérature un adjectif qualificatif renvoyant à un territoire. Ainsi la notion de littérature suisse est un concept politique plutôt que littéraire car il n’y a pas de langue suisse : c’est la littérature des écrivains originaires de la Confédération helvétique, écrite en allemand, en français, en italien ou encore en romanche. C’est probablement celle qu’on enseigne dans les écoles en Suisse pour offrir aux futurs citoyens un panorama des grands écrivains de leur pays.

 

A contrario, la littérature espagnole, par exemple, est celle qui est écrite en langue espagnole par les écrivains nés ou résidant en Espagne. Parler de littérature castillane serait d’ailleurs plus clair. Les œuvres écrites en catalan ou en galicien n’y appartiennent pas, celles écrites en espagnol par des écrivains latinoaméricains non plus ; mais celles-là sont européennes tandis celles-ci ne le sont pas. Bien sûr il existe, comme évoqué plus haut pour la Suisse, une littérature espagnole au sens politique : c’est alors la littérature de l’Espagne en tant que pays, et les œuvres galiciennes et catalanes en font partie, mais ce n’est pas la signification que nous retiendrons dans ce livre.

1.   Proposition de définition de la littérature européenne

A suivre ...